De la Naissance des Monstres
Chapitre 1
Tout semblait normal, mais le monstre dans le ventre d’Ethan s’agitait à nouveau.
C’était peut-être le bon moment.
Il récupéra les couverts que lui tendait sa mère et les disposa autour des assiettes. Dans le salon, le téléviseur crachotait une chaîne d’info en fond sonore.
Sa mère terminait de s’affairer en cuisine, le dîner était bientôt prêt. Quand ils s’installèrent, son père se leva péniblement de son fauteuil pour les rejoindre. Tout en suivant d’un œil distrait les infos qui défilaient sur l’écran, il tendit la main vers le plat. Comme tous les soirs, sa mère lança la conversation, pour ne pas laisser le téléviseur absorber l’attention..
— Comment ça s’est passé aujourd’hui au lycée ?
Ethan haussa les épaules. L’enfer, comme d’habitude.
— Tu vas profiter des vacances pour commencer les révisions ? Tu le sens bien ?
Il opina du chef en portant la fourchette à ses lèvres. Son père relança.
— Et les amours ? Toujours pas de copine ?
Il fit la moue.
— Un copain, peut-être ?
Ethan baissa brusquement le nez dans son assiette.
Il fallait qu’il se lance. C’était le moment tant attendu. Celui où il se libérerait enfin du poids de ses mensonges.
Il réfugia ses mains moites sous la table, son cœur tambourinait dans sa poitrine. Il rassembla son courage, prit une grande inspiration… et le sursaut d’audace disparut aussitôt.
Il secoua la tête de nouveau et son père renifla.
— Tant mieux, c’est devenu à la mode d’être comme ça. Mais tu vas trouver une gentille fille un jour, faut juste être patient.
Ethan fit un effort pour rester impassible tandis que la gêne le dévorait.
Sa mère tendit le bras pour récupérer le saladier.
— Laisse-le tranquille, c’est encore qu’un gamin !
— Je sais bien, c’est pour ça que je lui dis qu’il a le temps. Pas la peine de jouer la tafiole comme le fils des Roussel. T’as vu comme il se fringue ? Michel dit que parfois, même, il se maquille. T’imagines un peu ? Jamais ça se passerait comme ça sous notre toit, je peux te le dire !
Ethan se mordit la langue et garda le nez plongé dans son assiette.
Il avait joué la scène mille fois dans sa tête. Il avait tourné les mots dans tous les sens.
Les piques moqueuses de son père claquèrent dans l’air et chassèrent toute envie audacieuse.
Si ses parents se permettaient ce genre de remarques en parlant du fils Roussel, que diraient-ils quand ils sauraient ?
La honte bourdonnait dans ses oreilles et il se concentra sur la télévision pour ne pas craquer.
À la fin du repas interminable, il aida à débarrasser avec un sourire de façade puis monta se réfugier dans sa chambre.
Il s’affala sur son lit et étouffa un cri de frustration dans son coussin. Il n’était qu’un imposteur. Ce sentiment persistant ne le quittait plus. Trop lâche pour être honnête, trop lâche pour être lui-même.
Il reprit contenance en entendant les pas de sa mère dans les escaliers. Elle entrouvrit la porte de la chambre et se posta dans l’entrebâillement, les bras croisés.
Était-ce de l’inquiétude dans son regard ou de la fatigue ?
— Tout va bien, mon cœur ?
Ethan hésita. Il pouvait encore saisir la perche qu’elle lui tendait.
Mais le courage avait fui, la tête lui tournait. Le gouffre était immense et terrifiant.
Pourquoi tu rends tout difficile ? lui demandait-elle parfois en soupirant.
Il se mordit la langue pour étouffer sa colère.
Comment pourrait-elle comprendre ?
Il hocha la tête et prit sa décision. Il valait mieux botter en touche, une fois encore.
— Je peux aller passer le weekend chez Allan ?
— Et tes révisions ?
— C’est le début des vacances, Maman. J’ai juste besoin de souffler un peu ce week-end. Je m’y mettrai dès lundi, promis.
Elle hocha la tête. Elle n’avait jamais été chiante pour ces choses-là.
— Si ça te fait du bien, je comprends. Tu me tiens au courant, tu m’envoies un message quand tu y es ?
Ethan s’en voulut aussitôt de ne pas être capable de lui dire, de ne pas se sentir assez courageux pour faire quelque chose d’aussi simple. Qu’est-ce qui clochait chez lui ? Pourquoi la peur était-elle si forte dans son ventre ?
Il roula en boule quelques affaires dans son sac.
Là tout de suite, il avait besoin de quitter cette prison dorée pour respirer.
Sa mère passa une main dans ses cheveux pour ébouriffer ses boucles comme elle faisait quand il était gamin.
— Tu grandis trop vite !
Il grimaça quand elle se pencha pour l’embrasser sur le front.
— Tu sais qu’on t’aime, Ethan ?
Il se mordit la lèvre et lui fit un signe avant de récupérer sa veste et de dévaler les escaliers.
Vraiment ? Est-ce qu’ils tiendraient le même discours quand ils sauraient ?
Il referma la porte de la maison et se dirigea vers l’arrêt de bus au bout de la rue.
La culpabilité et les remords se télescopaient dans sa tête.
Il aurait dû lui dire. Qui sait quand l’occasion se représenterait ?
À la place, la fuite semblait plus douce.
Il monta dans le bus et descendit quelques arrêts à peine plus loin.
L’immeuble d’Allan était au fond d’une résidence moderne et le soulagement de le retrouver chassa la sensation douloureuse dans sa poitrine.
Il sortit son téléphone, envoya un message à sa mère – je suis bien arrivé, je rentre lundi, bisous. Il appuya sur l’interphone, la main un peu tremblante.
Il patienta quelques secondes dans le froid, puis une tête dépassa d’une fenêtre deux étages plus haut.
— Ethan ? Qu’est-ce que tu fiches ici ?
— Je peux monter ?
La porte de la résidence s’ouvrit dans un claquement mécanique et il grimpa les escaliers, quatre à quatre.
Allan se tenait dans l’entrebâillement de la porte, tout échevelé, déjà en pyjama.
Il fronçait les sourcils, l’air inquiet.
— Tout va bien ?
Ethan reprit son souffle sur le pas de la porte et il s’autorisa enfin à sourire, soulagé de le voir. Auprès d’Allan, tout irait mieux. Ce n’était pas si grave de mentir au monde entier, tant qu’il l’avait, lui, à ses côtés.
— J’en pouvais plus de mes parents, j’avais besoin de te voir.
Ethan se pencha pour déposer un baiser sur ces lèvres qui lui avaient tant manqué, mais Allan l’esquiva.
— Arrête, mes parents sont dans le salon. Viens.
Ethan suivit le garçon dans le couloir.
À peine s’était-il engouffré dans la petite chambre qu’il poussa Allan contre la porte refermée et plongea son nez dans son cou. Il respira son odeur de longues secondes puis se hissa sur la pointe des pieds pour déposer un baiser affamé sur ses lèvres.
Il ne l’avait pas vu de la journée, entre leurs cours respectifs et la perspective des vacances scolaires. Pour Ethan, ils ne se voyaient décidément pas assez. Parfois au détour d’un couloir, cachés des regards. Souvent après les cours, profitant de l’absence des parents d’Allan. Et aujourd’hui le manque était trop grand.
L’embrasser enfin, après cette journée interminable, c’était comme reprendre sa respiration après une trop longue apnée.
Si Allan fut d’abord surpris par l’embuscade, il se détendit finalement et un sourire étira ses lèvres. Il se cala dos contre la porte et lui rendit son geste. Ses mains se faufilèrent dans son dos pour le rapprocher un peu plus de lui, puis elles s’égarèrent dans ses cheveux. Puis les baisers affamés se firent plus tendres et Ethan vint poser son front contre le sien pour chasser les doutes de cette soirée. Il ne voulait être nulle part ailleurs qu’entre ses bras. Au bout de quelques minutes cependant, Allan se défit de son étreinte et le tira vers le lit défait.
Il s’installa contre les coussins, tendit la main pour attraper son paquet de cigarettes et ouvrit le battant de la fenêtre.
Allan alluma d’un geste assuré sa clope et tira une longue bouffée, la tête penchée en arrière.
Les yeux clos, il ressemblait à une gravure de mode. Des cils interminables, le menton carré et des pommettes proéminentes.
Son cou ainsi dégagé invitait aux baisers interdits.
Allan rouvrit les yeux et lui offrit un sourire qui contracta le ventre d’Ethan. Il lui tendit la cigarette entamée qu’il refusa avec une grimace. Ethan s’abandonna à sa contemplation avant de se racler la gorge.
— Je vais le dire. À mes parents, aux autres…
Il tira de nouveau sur sa cigarette et haussa un sourcil interrogateur.
— Quoi donc ?
— Ce que je suis. Sortir enfin du placard.
Le garçon souffla de longues secondes la fumée âcre et grimaça.
— T’es pas sérieux ?
Ethan fit courir ses doigts sur la peau que son t-shirt relevé laissait apparaître.
— Merde, t’es sérieux.
Il se redressa difficilement contre les coussins et Ethan s’assit en tailleur pour lui faire face.
— Ça me bouffe, je ne pense plus qu’à ça, j’en ai besoin…
Allan s’éloigna du lit et écrasa sa clope dans le cendrier posé sur le rebord de la fenêtre.
Il passa une main nerveuse dans la nuque et s’adossa contre son bureau, les bras croisés.
— Tu disais que tu pouvais faire un effort jusqu’à la fin du lycée, non ?
Ethan se frotta les yeux. Novembre. Il égrena le nombre de mois qui restaient jusqu’à fin juin. Une foutue éternité !
Et après quoi ? Oui, il quitterait le lycée, se trouverait une coloc ou une chambre en cité universitaire. Est-ce qu’il pourrait étirer les mensonges jusque-là ?
— Tu sais ce qu’il va se passer quand ça se saura au lycée… Et si mes parents l’apprennent, tu y as pensé ?
Ethan se mordit l’intérieur de la joue, il ne s’était pas attendu à cette réaction. Il avait imaginé du soutien de la part d’Allan, peut-être même l’envie de faire leur coming-out ensemble. Il avait esquissé la possibilité d’enfin se tenir la main dans la cour du lycée, d’arrêter de se cacher et de mentir aux autres.
Il n’avait pas prévu ce regard agacé.
— Et puis, qu’est-ce que t’en sais si t’es vraiment gay, Ethan ? Ce qu’on a nous deux, c’est bien, sauf que c’est juste pour s’amuser…
Ethan déglutit. Une lame glacée se planta dans son cœur.
Il pourrait déplacer des montagnes pour Allan, pour obtenir un de ses regards, pour que ses lèvres se posent sur les siennes, pour que ses mains parcourent encore sa peau. Ça n’avait rien d’amusant. C’était peut-être fort, intense, beau et indispensable à ses yeux, mais pas amusant.
Allan l’observait du coin de l’œil en silence. Il sortit une nouvelle cigarette de son paquet et l’alluma. Il tira une longue taffe et se rapprocha de la fenêtre.
— Je ne suis pas comme ça, tu sais…
Ethan leva les yeux vers lui.
— Comme quoi ?
Il n’était pas sûr de vouloir entendre sa réponse.
— Comme ces tafioles qui défilent à la Gay Pride, comme le frère Roussel. J’aime pas les mecs, c’est seulement toi. Ethan aurait dû se sentir flatté, il aurait dû se battre pour garder leur relation secrète alors qu’en réalité, il était mortifié.
Il pensa à Gabriel, le frère Roussel qui arborait le rainbow flag sur son sac et ses traits d’eye-liner avec fierté, Gabriel qui encaissait les insultes dégueulasses dans le bus et les regards moqueurs au lycée. Il admirait son courage autant qu’il le trouvait inconscient. Il ne pourrait jamais être comme lui, il était trop lâche.
Il ne voulait pas non plus ressembler à Allan, avec son déni et ses remarques insultantes.
Quand il tendit la main pour lui caresser la joue, Ethan eut un mouvement de recul.
— Pourquoi tu te prends la tête comme ça ?
— Je ne me prends pas la tête !
Tout dans sa posture criait le contraire.
Bien sûr que ça lui prenait la tête ! Les mensonges et les questions tournaient en boucle depuis l’an dernier. Il avait d’abord pensé que ça se calmerait avec le temps, qu’il s’y habituerait ou mieux : que ça lui passerait. Néanmoins, le monstre dans son ventre continuait de remuer. A présent, plus il y pensait et moins il arrivait à garder le silence. Une ligne avait été franchie dans sa tête. Il avait besoin de le dire. Pour s’affranchir des non-dits, pour ne plus avoir l’impression de se fuir lui-même. Pourquoi être soi-même était-il si effrayant ?
Parce que tout changerait alors ? Le regard des autres, son monde à lui, son petit confort, l’équilibre entier de l’univers peut-être bien ! Il aimerait parfois avoir le courage du frère Roussel et se poser moins de questions.
Allan écrasa à nouveau sa cigarette.
— Écoute, tu ne peux pas débarquer à l’improviste et me mettre la pression comme ça. J’ai pas envie de crier sur les toits que j’aime t’embrasser et plus si affinités, merde. Pourquoi tu compliques tout ?
Il lui rappela les sermons de sa mère. Pourquoi tu rends tout difficile ?
— Ça ne te suffit pas, ce qu’on a nous deux ? Qu’est-ce qu’il te faut de plus ?
Ethan secoua la tête. Il ne voulait pas spécialement plus, cependant il aurait aimé pouvoir se regarder dans un miroir sans avoir l’impression de mentir constamment.
— Je suis désolé. Tu devrais rentrer chez toi, et oublier tout ça…
Ethan garda le silence, incapable d’organiser ses pensées chaotiques. Allan le raccompagna dans le couloir jusqu’à l’entrée. Dans le salon, la télévision crachotait toujours en fond. Une voix s’éleva du canapé.
— Qui c’est ?
— Personne, un pote qui avait besoin de mes cours.
Personne.
Ethan se mordit la lèvre.
Il ne voulait pas grand-chose, peut-être juste un peu de considération de la part de celui qu’il aimait.
Allan jeta un regard nerveux derrière son épaule puis chuchota.
— Écoute, je pense vraiment que c’est plus simple de ne rien dire…
Dans l’embrasure de la porte, Ethan rassembla ses esprits pour tenter de sauver cette piteuse soirée.
— Tu sais que je t’aime ? Je ne veux pas gâcher ce qu’il y a entre nous…
Alors qu’il tendit la main vers son visage dans un geste tendre, Allan lui saisit le poignet.
— Arrête.
Son regard était soudain grave. Le ventre d’Ethan se contracta.
— Quoi ?
— Désolé, je ne peux plus faire ça…
Allan n’avait jamais été très courageux, toutefois Ethan arrivait à puiser dans sa présence assez de force pour continuer à avancer. Si Allan le laissait tomber, il n’était pas sûr de savoir comment gérer ce qu’il ressentait au fond de lui. Ethan chassa les hypothèses insidieuses qui s’emballèrent soudain dans son esprit.
— Pardon, je reconnais que c’était nul de débarquer et de te mettre la pression. T’as raison, je n’aurais pas dû. J’avais juste besoin de te voir, c’est tout.
Allan ferma les yeux de longues secondes avant de grimacer.
— Écoute, j’aime passer du temps avec toi, je ne dis pas le contraire, mais je ne peux pas te donner plus que ça…
Ethan sentit la panique affluer dans sa gorge.
— Je retire ce que j’ai dit. Oublie tout ça, d’accord ? Dis-moi quand on peut se revoir. Tu me manques déjà.
Ethan essaya de sourire, d’attiser l’envie qui les avait toujours réunis.
— Je suis désolé. Tu devrais rentrer chez toi…
— Ne me dis pas que t’es en train de me larguer. Pas ici, pas comme ça…
— Pour te larguer, il faudrait qu’on soit officiellement ensemble. Et nous deux c’est vraiment, vraiment agréable, mais je ne peux pas faire ce que tu t’apprêtes à faire.
Allan referma doucement le battant de la porte qu’Ethan bloqua soudain avec son pied.
— Alors quoi, c’est fini ? Juste comme ça ? Pour une idée à la con, un mot de travers ?
Dans le salon, un des parents d’Allan se leva et remonta le couloir.
Allan poussa Ethan dans la cage d’escalier de l’étage. Elle était grise, glauque et froide, aussi glaciale que les mots échangés.
— Tu sais bien que c’est plus compliqué que ça. Tu veux davantage que ce que j’ai à te proposer. Et moi, je ne suis pas comme toi, désolé… Je ne peux pas. C’est plus simple d’arrêter de se voir. Tu vas finir par me détester et je ne veux pas te faire souffrir. Regarde, j’ai déjà commencé…
Il détourna le regard tandis qu’Ethan se frottait les yeux.
— Rentre chez toi. Oublie tout ça.
Allan lui jeta un dernier regard désolé, puis remonta les marches. La lumière finit par s’éteindre et Ethan se sentit abandonné dans ces escaliers glauques. Il tâtonna, la gorge serrée, pour redescendre jusqu’au rez-de-chaussée.
Comment avait-il pu se planter à ce point ?
La honte soudaine fut plus violente qu’une gifle.
Il rebroussa chemin vers l’arrêt de bus en essayant d’articuler ses pensées. Tout s’était écroulé si vite qu’il n’avait rien vu venir.
Il remonta sa capuche et resserra sa veste pour se protéger du froid. L’affichage des horaires de passage du bus était en panne. Il pourrait appeler sa mère pour qu’elle vienne le chercher. Mais il devrait alors lui expliquer sa rupture – parce que c’était une vraie rupture, n’est-ce pas ?
Il pourrait rentrer à pied, il n’était pas si loin, et se contenter de ne rien dire. Se murer dans le silence et ajouter un énième non-dit à sa collection de mensonges. Il renifla : rentrer, c’était revenir en arrière.
La colère qui couvait à présent était trop forte pour rentrer sans rien dire. Peut-être que c’était le bon prétexte pour tout avouer ? Il pourrait tout déballer, leur imposer ce qu’il était et au diable les remarques insultantes !
Tandis qu’il échafaudait les pires scénarios, un bus apparut au but de la rue. Il fit signe au chauffeur et s’y engouffra. Le bandeau indiquait Lyon Ouest. Ce n’était pas la bonne direction, en revanche le trajet aller-retour lui laisserait le temps de rassembler ses pensées et de choisir la meilleure solution à l’abri du froid.
Il essaya de contrôler la peur qui pulsait contre ses tempes, mais la panique semblait déjà nichée en creux au fond de lui, juste à côté du dégoût. Impossible à calmer. Derrière ses paupières, des larmes se pressaient, difficiles à retenir.
Au bout d’un moment, le bus arrêta son moteur. Fin de service.
Pris au dépourvu, Ethan descendit sur le bitume sans savoir où aller.
Il n’arrivait pas à réfléchir correctement.
Les néons capricieux de la gare routière et quelques ivrognes bruyants lui firent quitter le parking.
Il serra son téléphone au fond de sa poche. Il était encore temps d’appeler sa mère. Elle ne lui en voudrait même pas de la réveiller au milieu de la nuit.
Pourtant, là, tout de suite, repousser la confrontation lui semblait l’option la plus facile. Il n’avait jamais été très courageux et l’audace qui l’animait quand il était dans les bras d’Allan avait disparu. Il se sentait juste misérable et dans une fichue impasse.
Il fallait qu’il se pose pour réfléchir calmement.
Était-il possible d’ouvrir une parenthèse pour repousser le jugement de ses parents et du monde entier ? Il devait bien pouvoir puiser quelque part la force d’être enfin lui-même !
Il quitta la gare routière et marcha au hasard. Il mit un pied devant l’autre pour chasser la peur. S’il s’arrêtait, les doutes le dévoreraient tout entier, c’était certain. Alors il marcha, pour calmer les angoisses. Il essaya de toutes ses forces de repousser les pensées noires qui gonflaient dans sa poitrine.
La peur laissa bientôt place à l’épuisement nerveux. L’air humide s’immisçait sous sa veste trop légère et le crachin poisseux lui fouettait le visage. Il remonta sa capuche, se mit en quête d’un abri pour se protéger de la pluie.
Dans la pénombre et sous la lumière vacillante des lampadaires , toutes les rues du quartier se ressemblaient. La plupart des ruelles étaient désertes et plongées dans le noir, seuls quelques échoppes de kebabs projetaient leur lumière sur les trottoirs sales.
Il fit une pause pour essayer de s’orienter, mais la nuit déformait les endroits qu’il pensait connaître. Soudain, il se sentit perdu, littéralement. Il essaya de se calmer, de se concentrer sur sa respiration comme sa mère lui avait appris quand les angoisses étaient trop fortes. La tentative fut pitoyable. La panique qui enflait dans sa poitrine allait l’engloutir !
Il déglutit difficilement et reprit son errance, un pas après l’autre. Il bifurqua dans une ruelle au hasard et repéra un renfoncement qui ferait un abri de fortune convenable. Il se laissa glisser derrière le pilier de béton où des cartons étaient éparpillés et remonta les genoux contre lui.
Il essaya de détendre ses poings douloureux d’être restés crispés toute la soirée.
Il allait trouver une solution, n’est-ce pas ?
Sa mâchoire serrée lui fit mal et respirer devenait difficile.
Il se força à prendre une grande et lente inspiration puis une autre, puis encore une. Il compta jusqu’à dix. Les angoisses se calmaient doucement quand soudain les souvenirs de la soirée remontèrent dans sa gorge. Les tentacules de honte s’agitèrent au fond de son ventre. Elles balayèrent ses efforts et l’angoisse le submergea comme une lame de fond. Il arrêta de lutter contre les larmes qu’il avait jusque-là refoulées.